
Trump et ses taxes douanières, cailloux dans les santiags en autruche "made in USA"

Conséquence insolite des taxes douanières de Donald Trump, des santiags "made in USA" vont pâtir à partir de vendredi du taux de 30% visant l'Afrique du Sud, qui produit l'écrasante majorité du cuir d'autruche tant prisé pour la confection de ces bottes.
Les plus prestigieuses marques du Texas fabriquant ce symbole de l'Americana s'approvisionnent exclusivement à Oudtshoorn, à 400 km à l'est du Cap. Dans cette capitale mondiale de l'autruche et ses alentours, le nombre d'âmes avoisine celui des volatiles: une centaine de milliers.
"On ne sait pas quelle sera la gravité de l'impact mais il ne sera pas positif, c'est sûr", euphémise auprès de l'AFP Laubscher Coetzee, quatrième génération d'une famille d'éleveurs connus pour la qualité de ses plumes.
Depuis près de deux siècles, les fermes d'autruche ont fait leur nid dans cette vaste plaine enserrée de montagnes rocheuses rougeâtres, baptisée Petit Karoo.
Cape Karoo International (CKI), une forme de coopérative appartenant à environ 200 éleveurs de la région, fournit à elle seule, selon son directeur général, plus de 55% de la production mondiale de produits issus de l'autruche. L'Afrique du Sud, cible d'attaques du président américain depuis des mois, en totalise 70%.
Au-delà de la France et de l'Italie, où ils fournissent les grands noms de la mode en peau pour sacs à main, 20% du cuir de CKI est exporté vers les Etats-Unis où des institutions de la santiag, comme Lucchese ou Justin, se l'arrachent au Texas.
La paire, onéreuse, se chiffre à plusieurs centaines de dollars, voire davantage.
- Cuir d'autruche -
Le patron de Rios of Mercedes, autre prestigieuse manufacture installée au Texas et dont l'histoire remonte à 1853, vante le cuir d'autruche dans une vidéo de juin 2024.
"Les gens me demandent toujours quelle est la meilleure peau pour fabriquer des bottes. Je pense que c'est l'autruche", tranche Ryan Vaughan, chapeau de cow-boy posé sur la tête après un "howdy" introductif typique du sud des Etats-Unis. "Elle épouse parfaitement la forme du pied. Elle est extrêmement résistante."
Justin se vante de "fabriquer aux Etats-Unis avec des matériaux du monde entier" et Lucchese dans un communiqué à l'AFP se dit "fier de fabriquer ses bottes à la main dans l'Etat du Texas depuis 141 ans" tout en devant "parfois chercher au-delà des frontières pour trouver (...) des matières premières".
"Ce que veut l'administration Trump, c'est que la fabrication soit faite aux Etats-Unis. Dans notre cas, on exporte la matière première, le cuir - qu'ils ne peuvent pas produire à partir d'autruches locales aux Etats-Unis car ils n'en ont pas", observe Francois de Wet, directeur général de CKI qui emploie 1.200 personnes.
La spécificité climatique du Petit Karoo explique le succès de l'élevage local, estime Laubscher Coetzee devant les flammes dansant dans la cheminée de cette propriété bâtie en 1896 par son arrière-grand-père.
"Il y a une raison pour laquelle le secteur de l'autruche existe toujours 200 ans après ses débuts. Les gens ont essayé partout dans le monde, aux Etats-Unis, en Australie, et même ailleurs en Afrique du Sud. C'est un peu un animal du désert", décrit ce spécialiste de la reproduction qui vend quelque 600 animaux par an à d'autres éleveurs.
Si l'autruche est devenue la coqueluche des environs, c'est que le climat n'autorise pas d'autre activité agricole, avec moins de 400 mm de pluie par an en moyenne.
"Tout tourne autour des autruches ici. C'est une région semi-désertique, rien ne peut pousser ici, il n'y a pas assez d'eau", constate Leon Lareman, cadre de CKI.
- Chapeaux à plumes -
"Toute la valeur ajoutée est créée aux Etats-Unis, donc on fait déjà ce que souhaite l'administration Trump", plaide Francois de Wet.
Et comme il est impossible que les producteurs sud-africains supportent seuls le poids des 30% de taxes douanières, le fabricant texan ainsi que l'acheteur de bottes de cow-boy vont régler selon lui une partie de cette addition.
Ces peaux, reconnaissables aux marques de plumes caractéristiques, se vendent aux manufactures américaines environ 20 dollars le "square foot" (pied carré, 930 cm2).
"On a exporté vers les Etats-Unis un volume de cuir d'autruche supérieur à la normale ces deux à trois derniers mois, ce qui nous laisse une petite marge de manoeuvre", explique Francois de Wet.
"On ne prévoit pas de licenciement à court terme", assure-t-il. "Mais à long terme, si l'intégralité des droits de douane est maintenue, cela entraînera certainement un recul de notre activité."
Oudtshoorn porte déjà les marques d'une crise passée: ces palais d'autruche, fusion d'architecture coloniale néerlandaise et d'art nouveau que leurs propriétaires avaient fait édifier à l'âge d'or de la production de plumes. Jusqu'à ce que tout s'effondre à la fin de la Belle Epoque en Europe avec l'arrivée de l'automobile, pas assez haute de plafond pour que la haute société puisse y porter ses chapeaux à plumes.
W.Richard--SMC