
Athlètes hyperandrogènes: la CEDH rend une décision scrutée par le monde sportif

Privée de compétition depuis 2018 parce qu'elle refuse de faire baisser son taux de testostérone, la Sud-Africaine Caster Semenya, saura jeudi si la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) tranche en sa faveur et en celle des athlètes hyperandrogènes.
La décision de la Cour sera "très importante", avait déclaré la spécialiste du 800 m après l'audience, en mai 2024, à Strasbourg. L'athlète de 34 ans espère "ouvrir la voie aux jeunes femmes" afin qu'elles ne soient pas "déshumanisées et discriminées".
Double championne olympique (2012, 2016) et triple championne du monde (2009, 2011, 2017) du 800 m, Caster Semenya produit naturellement beaucoup d'hormones mâles (androgènes), susceptibles d'accroître la masse musculaire et d'améliorer les performances.
Depuis 2018, World Athletics, la fédération internationale d'athlétisme, impose aux athlètes hyperandrogènes de faire baisser leur taux de testostérone par un traitement hormonal pour pouvoir participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine. Ce que refuse Caster Semenya, privée ainsi de s'aligner en compétition sur sa distance fétiche.
- "Traitement nocif et inutile" -
La Sud-Africaine a dû choisir entre "sauvegarder son intégrité et sa dignité personnelles tout en étant exclue de la compétition" ou "subir un traitement nocif, inutile et soi-disant correctif", a exposé son avocate, Schona Jolly.
L'avocate a répété lors de l'audience que "mademoiselle Semenya est une femme. A sa naissance, on lui a assigné le sexe féminin, légalement et dans les faits".
Révélée au grand public aux Mondiaux de 2009 à Berlin, Caster Semenya y avait remporté la médaille d'or du 800 m mais son apparence physique et sa voix grave avaient suscité débats et spéculations.
L'athlète avait été interdite de compétition pendant onze mois et contrainte de subir des tests médicaux dont les résultats sont restés secrets, avant d'être autorisée de nouveau à courir en juillet 2010.
Mais en 2018, le règlement de World Athletics a changé la donne.
Ce règlement a été validé l'année suivante par le Tribunal arbitral du sport (TAS, basé en Suisse), puis confirmé par le Tribunal fédéral de Lausanne, qui a mis en avant en 2020 "l'équité des compétitions" comme "principe cardinal du sport", au motif qu'un taux de testostérone comparable à celui des hommes confère aux athlètes féminines "un avantage insurmontable".
Les recours de l'athlète sud-africaine contre ces deux décisions ont été rejetés mais elle a obtenu gain de cause devant la CEDH le 11 juillet 2023. La cour, qui veille au respect de la Convention européenne des droits de l'homme, a estimé qu'elle avait été victime de discrimination et d'une violation de sa vie privée.
- Décision définitive -
Cependant, les autorités helvètes, appuyées par World Athletics, ont saisi la Grande chambre de la CEDH, sorte d'instance d'appel dont les décisions sont définitives, qui rend son arrêt jeudi.
"C'est une décision qui est scrutée parce qu'elle va conditionner ce qui va venir ensuite en matière de contestation des règles d'accès aux compétitions féminines, notamment pour les athlètes transgenres" - même si ce n'est pas le cas de Caster Semenya -, souligne auprès de l'AFP Antoine Duval, spécialiste en droit européen du sport à l'Institut Asser de La Haye.
Au-delà du cas Semenya, la Cour pourrait aussi être amenée à se prononcer sur la question de l'indépendance du TAS, ajoute Antoine Duval: "Est-ce qu'il est suffisamment indépendant pour garantir une justice équitable aux sportifs, suffisamment indépendant en particulier du mouvement olympique?"
Si l'arrêt rendu par la CEDH en 2023 avait constitué une première victoire pour Caster Semenya, il n'a toutefois pas invalidé le règlement de World Athletics et n'a pas ouvert directement la voie à une participation de Semenya sur 800 m sans traitement.
En mars 2023, World Athletics a même durci son règlement concernant les athlètes hyperandrogènes. Et en mars dernier, la fédération internationale a approuvé l'introduction d'un test de prélèvement buccal pour déterminer si une athlète est biologiquement une femme.
La date d'introduction de cette mesure n'a pas été fixée, mais elle pourrait être mise en place pour les Championnats du monde de Tokyo cette année (13-21 septembre), selon l'organisation.
O.Lessard--SMC